Volume 30 : Chapitre 3, Nouvel élan 51–60

Nouvel élan 51

Durant sa visite précédente aux États-Unis, en octobre 1980, Shin’ichi avait appelé les membres à s’entraîner dans l’étude bouddhique. Et, pendant ce dernier voyage, il donna lui-même de nouveau l’exemple, en citant des passages des écrits de Nichiren sur lesquels il s’appuya pour offrir des encouragements.

Lors de la conférence d’étude internationale, il lut ce passage :

« Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l’étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de Loi bouddhique. Vous ne devez pas seulement persévérer vous-même ; vous devez aussi enseigner aux autres. Pratique et étude proviennent toutes deux de la foi. Enseignez aux autres au mieux de vos capacités, ne serait-ce qu’une phrase. » (Écrits, 390)

Puis il expliqua : « Ici, la “pratique” correspond aux actions que nous menons pour notre bonheur et celui des autres – autrement dit, la récitation de Nam-myoho-renge-kyo et la transmission de la Loi. L’“étude” signifie approfondir les enseignements et les principes du bouddhisme de Nichiren. Ceux qui s’exercent à la fois dans la pratique et l’étude sont les disciples authentiques de Nichiren. Si nous ne persévérons pas dans ces deux voies, nous ne pratiquons pas véritablement le bouddhisme, écrit Nichiren.

« Seule la Soka Gakkai agit en parfait accord avec ce passage et fait progresser kosen rufu, tout en étant la cible de toutes sortes d’oppositions et de calomnies. C’est un fait que personne ne peut nier.

« Les deux voies de la pratique et de l’étude découlent de la foi. Négliger la pratique et l’étude signifie perdre la foi. La foi consiste à croire de tout son cœur dans le Gohonzon et à lutter sincèrement et sans répit pour kosen rufu, sans jamais être vaincu par aucune menace, attaque ou influence négative.

« La pratique et l’étude sont comme les deux roues d’un chariot, tandis que la foi représente l’essieu. Même s’ils maitrisent parfaitement la doctrine bouddhique, ceux qui ne pratiquent pas sont comparables à un chariot qui n’aurait qu’une roue. Ils seront inévitablement amenés à s’écarter de la voie de la foi correcte.

« Certaines personnes se sont en effet absorbées dans l’étude bouddhique, sans toutefois faire de réels efforts dans leur pratique. S’imaginant meilleures que les autres, elles ont fait preuve d’un comportement arrogant, se sont aliénées leurs compagnons de pratique qui luttaient sincèrement dans la foi, et ont fini par quitter la Soka Gakkai. C’est tout à fait regrettable.

« Nous n’étudions pas les enseignements du bouddhisme de Nichiren pour devenir des spécialistes du bouddhisme. J’aimerais réaffirmer que notre étude bouddhique a pour objectif d’approfondir notre foi, de manifester la bouddhéité dans cette existence et de faire avancer kosen rufu. »

L’étude bouddhique au sein de la Soka Gakkai est orientée vers la pratique, elle approfondit les principes de vie permettant de créer le bonheur pour soi et pour les autres.

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À Hawaï, Shin’ichi déposa une couronne au mémorial de l’USS Arizona, à Pearl Harbor, où la guerre du Pacifique éclata, et pria profondément pour la paix. Il participa également au premier festival culturel de l’amitié États-Unis-Japon, qui eut lieu au Waikiki Shell, aux côtés de représentants de quinze pays et territoires.

En outre, il donna un cours d’étude aux responsables d’Hawaï, dans lequel il commenta un passage du traité de Nichiren, Sur l’ouverture des yeux. Il évoqua la noble mission des membres qui luttent pour kosen rufu à l’époque de la Fin de la Loi : « Le mur de conflits qui se dresse entre l’Est et l’Ouest, dit-il, a divisé notre monde et aggravé le chaos et la confusion qui y règnent. En tant que disciples de Nichiren, continuons de faire largement connaître l’enseignement suprême, Nam-myoho-renge-kyo, afin de permettre à toute l’humanité d’atteindre l’éveil. Renouvelons nos efforts pour illuminer la vie des êtres humains au niveau le plus profond, et pour faire résonner la cloche du bonheur et de la paix.

« La paix mondiale ne deviendra pas réalité tant que l’obscurité voilera le cœur humain. Le respect de la dignité de la vie commence quand nous manifestons nous-mêmes notre état de bouddha intrinsèque et permettons à chaque personne de briller. Permettre aux êtres humains de régénérer leur vie grâce au bouddhisme en les unissant par la culture et établir des ponts de paix durable pour l’humanité – voilà en quoi consiste notre mission sociale en tant que bouddhistes. »

À la fin de son programme de huit jours d’activités à Hawaï, Shin’ichi s’envola pour Los Angeles le 20 janvier, peu après 14 heures.

Il y participa à la cérémonie de Gongyo pour la paix mondiale au centre culturel mondial de Santa Monica, à une réunion des rédacteurs des publications de la Soka Gakkai de divers pays et territoires, ainsi qu’au festival culturel de l’amitié États-Unis-Japon commémorant le bicentenaire de Los Angeles, à l’auditorium Shrine.

Le 24 janvier, le festival accueillit quelque 15 000 personnes, qui assistèrent à un spectacle préparé par des membres américains et japonais, comportant des chants et des danses célébrant l’histoire de la ville et les personnes qui l’avaient bâtie. La salle applaudit à tout rompre.

Une personnalité, invitée au festival, rapporta qu’elle avait été profondément touchée par l’enthousiasme et la passion des artistes, et inspirée par les idéaux et l’esprit de la Soka Gakkai.

La culture et les arts font résonner des sentiments communs dans le cœur des gens et les rapprochent.

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En ce même 24 janvier, au Japon, Tomomasa Yamawaki fut arrêté pour chantage et tentative de chantage. Le département de la police métropolitaine de Tokyo avait enregistré officiellement la plainte déposée par la Soka Gakkai en octobre de l’année précédente [en 1980], et avait mené par la suite une enquête approfondie. Il y avait désormais suffisamment de preuves accumulées contre Yamawaki et l’on procéda à son arrestation.

Pour se protéger, Yamawaki s’était servi de certains journaux à scandale afin de mener une campagne de diffamation contre la Soka Gakkai, mais, pendant son procès, il apparut clairement qu’il avait répandu des mensonges malintentionnés et qu’aucune de ses allégations n’était fondée.

Après l’arrestation de Yamawaki, le bureau du procureur du district de Tokyo demanda à s’entretenir avec Shin’ichi. La Soka Gakkai souhaitait en effet que les faits soient clairement exposés et la vérité révélée. Shin’ichi interrompit donc son voyage aux États-Unis et rentra au Japon.

Avant son départ, Shin’ichi informa les membres américains : « Un événement m’oblige à rentrer au Japon, mais je reviendrai. Les États-Unis sont la pierre angulaire du kosen rufu mondial. Créez une unité solide et établissez une organisation humaine harmonieuse, qui sera un modèle pour le reste du monde. »

Shin’ichi retourna au Japon le 28 janvier et fut interrogé par le bureau du procureur à quatre reprises. Il participa aussi à de nombreuses réunions de la Soka Gakkai, notamment une discussion informelle avec les participants d’une conférence des responsables de préfecture. Puis, le 15 février, il prit de nouveau l’avion pour Los Angeles.

Là, il offrit des encouragements et des orientations dans la foi aux membres réunis au centre culturel mondial de Santa Monica et au centre de séminaires de Malibu.

Ensuite, il se rendit à Miami avant de s’envoler pour le Panama, le 19 février.

C’était sa première visite au Panama depuis sept ans, et de nombreux nouveaux membres étaient apparus. Il participa à une réunion informelle avec des représentants de sept pays d’Amérique centrale et du Sud, puis au festival culturel de l’amitié Japon-Panama, au théâtre national du Panama. Il rencontra aussi le président du Panama et le maire de la capitale du pays, fit un don de livres à une école japonaise locale et visita l’université du Panama. Il œuvra avec énergie pour poser les fondations du développement de kosen rufu au XXIe siècle.

Martin Luther King (1929-1968), le chef de file du mouvement des droits civiques américain, a dit : « Il y a une certitude concernant le temps, c’est qu’il n’attend personne. Si vous ne l’utilisez pas de manière constructive, il vous échappe1. »

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Le 26 février, Shin’ichi quitta le Panama par avion pour se rendre au Mexique. C’était sa deuxième visite officielle dans ce pays2, la première en seize ans.

Au Mexique, comme au Panama, les journalistes de la télévision nationale et les reporters de la presse écrite l’attendaient à l’aéroport. Cela montrait bien la haute considération dont bénéficiaient dans le monde entier les activités de la Soka Gakkai pour la paix, l’éducation et la culture.

À Mexico, Shin’ichi visita pour la première fois le centre culturel local. Il se rendit aussi sur le site des ruines antiques de Teotihuacan et assista à un festival culturel de l’amitié entre le Japon et le Mexique.

Le 2 mars, il rencontra le président du Mexique, il se rendit à l’université nationale autonome du Mexique pour y faire un don de livres, et eut un entretien avec le recteur de cette université et d’autres personnalités officielles.

Sur le chemin du retour, Shin’ichi prit le temps de faire une promenade dans la ville de Mexico avec son épouse, Mineko.

Lorsqu’ils parvinrent sur une large avenue, ils aperçurent le monument de l’Ange de l’indépendance baignant dans la lumière du Soleil. Au sommet de la colonne centrale se dressait une statue en or qui représentait l’Ange, les ailes déployées, avec une couronne de lauriers symbolisant la Victoire dans sa main droite et une chaîne brisée symbolisant la Liberté dans la gauche.

« C’est bien cela », dit Shin’ichi. « Oui », approuva Mineko.

Leur maître, Josei Toda, avait autrefois décrit très clairement cette scène à Shin’ichi.

C’était une dizaine de jours avant sa mort. Toda, alors alité, avait demandé à son jeune disciple de venir à son chevet. Quand Shin’ichi s’était approché, Toda lui avait dit, avec un sourire chaleureux : « La nuit dernière, j’ai rêvé que j’allais au Mexique. Ils attendaient, ils attendaient tous… ils recherchaient le bouddhisme de Nichiren. J’aimerais voir le monde, faire un voyage pour kosen rufu. »

Toda était physiquement affaibli, mais son esprit le transportait avec ferveur dans un voyage à travers le monde. Telle était la combativité, tel était le cœur de ce grand héros de kosen rufu.

Toda décrivit alors le monument de l’Indépendance qui se dressait au centre de la ville de Mexico et d’autres sites qu’il avait vus dans son rêve.

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Josei Toda n’avait jamais voyagé en dehors du Japon. Mais il avait souvent lu des livres à propos du Mexique, et l’image du monument de l’Indépendance ainsi que la ville de Mexico dans son ensemble qu’il avait vue à travers des photographies, s’étaient inscrites dans son esprit. Il posa aussi fréquemment des questions sur ce pays à Fumiko Haruki, la première responsable des femmes du chapitre Osaka. Elle avait vécu au Mexique dans son enfance parce que le travail de son père l’avait amenée à partir là-bas avec toute sa famille.

Toda décrivit la scène avec une étonnante précision. Puis il ajouta : « Shin’ichi, tu dois voyager dans le monde. Ta véritable scène, c’est le monde. »

En regardant Shin’ichi intensément, il sortit son bras maigre, qui était dissimulé sous les couvertures. Le disciple saisit silencieusement la main frêle de son maître.

« Shin’ichi, vis pleinement ta vie. Vis longtemps. Et voyage à travers le monde. »

Shin’ichi avait rapporté cette scène à son épouse, Mineko.

Quand Shin’ichi avait aperçu le monument de l’Indépendance lors de sa première visite au Mexique, seize ans plus tôt, en août 1965, il s’était rappelé les paroles de Toda et avait ressenti une profonde émotion.

Et là, en se retrouvant de nouveau au même endroit, alors que le monument brillait sous la lumière du soleil, les paroles sincères de son maître « Voyage à travers le monde » résonnaient dans son cœur.

« Sensei, je voyage dans le monde entier. Je vais établir les solides fondations du kosen rufu mondial dans votre sillage ! »

Shin’ichi renouvela silencieusement son vœu, et Mineko remarqua : « Aujourd’hui, nous sommes le 2, le jour de la commémoration mensuelle du décès du président Toda3. »

« C’est exact et il se trouve que c’est précisément ce jour-là que nous sommes venus en cet endroit. »

« Il ne fait aucun doute que c’est lui qui nous a menés jusqu’ici. »

Tous deux hochèrent la tête en levant les yeux vers le monument.

Le lendemain, Shin’ichi et le groupe qui l’accompagnait visitèrent l’hôtel de ville de Mexico et d’autres lieux avant de partir pour leur destination suivante, la deuxième plus grande ville du Mexique, Guadalajara.

Là, ils visitèrent un centre privé où se tenaient les activités de la Soka Gakkai. Shin’ichi y rencontra des membres de façon informelle et les encouragea. Il visita aussi l’université de Guadalajara, rencontra le recteur et délivra une conférence.

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La conférence de Shin’ichi à l’université de Guadalajara était intitulée « L’esprit poétique mexicain ».

Il y parla de la chaleur humaine propre au peuple du Mexique, « un pays de soleil et de passion ». Il déclara que l’esprit poétique et les sourires généreux des Mexicains ouvraient des voies entre le cœur des êtres humains, ce qui était d’une importance vitale pour bâtir la paix et promouvoir les échanges culturels. Il exprima aussi sa profonde admiration pour les fortes initiatives du peuple mexicain et ses efforts constants afin de faire en sorte que l’Amérique latine demeure une zone dénucléarisée.

Après Guadalajara, Shin’ichi revint à Los Angeles, puis se rendit à Hawaï, deux lieux où, là encore, ils se consacra de tout son cœur à offrir des encouragements à l’occasion de réunions informelles et de sessions d’étude. Puis il revint au Japon le 12 mars.

Il avait déployé sans relâche des efforts sincères pour encourager les membres du Japon et du monde entier, et le mouvement de kosen rufu connaissait ainsi peu à peu un élan nouveau.

Des événements célébrant le Jour de la Soka Gakkai, le 3 mai, se tinrent à l’université Soka, dans l’agglomération de Tokyo, et Shin’ichi participa à des cérémonies de Gongyo et à d’autres événements entre le 2 et le 5 mai.

Les membres de la Soka Gakkai, unis par les liens de maître et disciple, avaient lancé une marche enthousiaste vers le XXIe siècle, portés par la douce brise du printemps.

Prenant à peine le temps de se reposer, Shin’ichi quitta de nouveau le Japon le 9 mai pour se rendre en Union soviétique, en Europe de l’Ouest et aux États-Unis, déterminé à œuvrer sans cesse pour la paix mondiale.

L’Union soviétique, sa première destination, faisait à l’époque l’objet d’une condamnation unanime à l’échelle mondiale du fait de son invasion de l’Afghanistan, en décembre 1979. Plus de soixante nations avaient boycotté les jeux Olympiques d’été de Moscou, en signe de protestation, et le pays se trouvait dans une situation extrêmement difficile sur le plan international.

Mais Shin’ichi était convaincu qu’il ne fallait pas fermer la voie du dialogue en ne se focalisant que sur les questions politiques. Il pensait que, dans cette période de grands défis, il fallait avant tout mettre l’accent sur la culture et l’éducation et faire le maximum d’efforts pour mener des échanges entre les peuples afin d’encourager la compréhension mutuelle.

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Shin’ichi se rendit cette fois en Union soviétique à l’invitation du ministère de l’Enseignement supérieur et secondaire spécialisé et de l’université d’État de Moscou. Il était déterminé à promouvoir les échanges éducatifs et culturels entre l’Union soviétique et le Japon afin d’ouvrir de nouvelles voies pour l’amitié.

Une vaste délégation d’environ 250 membres l’accompagnait, notamment le groupe des Fifres et Tambours Fuji et la chorale Ginrei de l’université Soka. Un vaste programme d’échanges avec des étudiants de l’université d’État de Moscou et des citoyens ordinaires avait été organisé en cette occasion.

Durant son séjour de huit jours, Shin’ichi se rendit au Théâtre musical pour enfants de Moscou et put établir un lien d’amitié avec sa fondatrice et directrice, Natalia Sats. Il rencontra aussi un certain nombre de personnalités officielles de l’Union soviétique, avec lesquelles il s’entretint au sujet de la paix et des échanges culturels.

Il eut notamment des conversations animées avec le ministre de la Culture, Piotr Demichev ; le ministre de l’Enseignement supérieur et secondaire spécialisé, Vyacheslav Yelyutin ; la présidente de l’Union des sociétés soviétiques d’amitié et de relations culturelles avec les pays étrangers, Zinaida Kruglova ; le président de l’Association pour les relations entre l’Union soviétique et le Japon, Timofei Guzhenko (qui était aussi ministre de la Marine marchande) ; le recteur de l’université d’État de Moscou, Anatoli Logounov ; et le président du Soviet de l’Union, la Chambre basse du Soviet suprême de l’Union soviétique, Alexei Chitikov.

Shin’ichi alla aussi déposer des fleurs au mausolée de Lénine, puis il fit de même devant le mur du Kremlin, où l’ancien Premier ministre Alexei Kossyguine était enterré, et sur la tombe du soldat inconnu. Se recueillir devant la tombe de l’ancien Premier ministre était l’un des objectifs principaux de sa visite en Union soviétique.

Kossyguine était décédé en décembre de l’année précédente. Shin’ichi l’avait rencontré à deux reprises, au Kremlin. Leur conversation de septembre 1974, lors de la première visite de Shin’ichi, eut lieu dans une période de fortes tensions entre la Chine et l’Union soviétique. Shin’ichi demanda franchement au Premier ministre si l’Union soviétique avait l’intention d’attaquer la Chine.

Kossyguine répondit clairement que ce n’était pas du tout dans les intentions de l’URSS. Avec sa permission, Shin’ichi transmit ses paroles aux dirigeants chinois lors de sa deuxième visite en Chine, en décembre de cette année-là.

Shin’ichi fit tout son possible, avec son statut de simple citoyen, pour que l’Union soviétique et la Chine ne se dirigent pas vers la guerre.

La route de la paix commence par un seul pas déterminé.

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Le 12 mai, Shin’ichi participa à l’inauguration d’une exposition de poupées japonaises organisée par la Soka Gakkai, le ministère soviétique de la Culture et le musée d’État d’art oriental de Moscou. Cet après-midi-là, il se rendit aussi à la bibliothèque d’État de littérature étrangère de toute l’Union pour y rencontrer sa directrice, Ludmilla Gvichiani, la fille du défunt Premier ministre, Alexei Kossyguine.

Mme Gvichiani portait un élégant tailleur bleu et un haut de couleur beige. Son sourire amical et intelligent et ses yeux clairs ressemblaient à ceux de son père.

Shin’ichi lui dit qu’il s’était rendu sur la tombe de son père et lui offrit toutes ses condoléances.

« Je suis très touchée par votre visite et par la générosité dont vous faites preuve », répondit-elle, visiblement émue.

Elle évoqua alors le jour où son père avait rencontré pour la première fois Shin’ichi. « Ce jour-là, se rappela-t-elle, lorsqu’il est rentré à la maison au terme de sa journée de travail, il m’a dit : “Aujourd’hui, j’ai rencontré un Japonais tout à fait exceptionnel et vraiment très intéressant. J’ai été heureux d’avoir avec lui une discussion des plus rafraîchissantes bien que nous ayons abordé des questions complexes.” Il m’a aussi demandé de prendre bien soin des livres que vous lui aviez offerts.

« J’ai voulu vous remettre un cadeau en retour. J’en ai parlé avec le reste de ma famille et nous avons décidé de vous offrir ceci. »

Elle remit alors à Shin’ichi un vase de cristal que le Premier ministre Kossyguine avait reçu à l’âge de 60 ans, lorsqu’il avait reçu le titre civil le plus élevé du pays, celui de Héros du travail socialiste.

Elle lui offrit aussi deux livres avec une reliure de cuir, les derniers écrits du Premier ministre, restés dans son bureau jusqu’à sa mort.

« On peut encore sentir sur ces livres la chaleur des mains de mon père. En son nom, j’aimerais vous les offrir. »

« Ces cadeaux sont les symboles d’une amitié très profonde et éternelle, dit Shin’ichi pour exprimer sa reconnaissance. Je ferai part de cette amitié à mon retour au Japon. Je prie pour le bonheur de tous les membres de votre famille. »

Un courant de paix stable est créé quand des amitiés se forgent et se perpétuent à travers les générations, des parents aux enfants.

Lorsque Shin’ichi partit, Mme Gvichiani lui fit signe au revoir jusqu’à ce qu’il disparaisse au loin, et c’est une image qu’il n’oublierait jamais.

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Le matin du 13 mai, Shin’ichi et Mineko se rendirent au cimetière de Novodievitchi pour prier devant la tombe de Rem Khokhlov, l’ancien recteur de l’université d’État de Moscou, décédé quatre ans auparavant. Ils se rendirent ensuite au domicile de la famille Khokhlov.

Ils y rencontrèrent l’épouse du professeur, Elena, et leurs deux fils, Alexei et Dmitri, pour y évoquer les souvenirs du recteur défunt.

Alexei, le fils aîné, était physicien à l’université d’État de Moscou, et Dmitri étudiait la physique à l’école d’études supérieures de l’université.

Toute la famille se réjouit sincèrement de la visite de Shin’ichi et de Mineko. Alexei exprima sa reconnaissance en ces termes : « Merci d’avoir fait ce déplacement pour rendre hommage à notre père. Durant votre visite dans notre pays, vous avez pu bénéficier d’un temps magnifique, comme si les cieux célébraient l’événement. Le long hiver de Moscou s’est achevé et des pousses vertes émergent. C’est ici la saison où la nature revient à la vie. »

« Votre famille entre dans la même saison, répondit Shin’ichi. Vous avez traversé la tristesse de l’hiver et maintenant un nouvel espoir s’épanouit en même temps qu’une vie nouvelle arrive. Je suis sûr que le recteur Khokhlov ne souhaite qu’une seule chose : le bonheur et le bien-être de ceux qu’il aime. Vous, ses fils, devriez étudier avec ardeur pour devenir de grands savants qui surpassent même votre père et pour apporter une contribution positive à la société tout en menant une vie heureuse. »

Alexei acquiesça. « Mon père parlait souvent de vous. Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer en personne. »

« J’espère que nous aurons beaucoup d’autres occasions de nous voir et d’évoquer les souvenirs de votre père. Venez un jour au Japon, et en cette occasion venez donc visiter l’université Soka. »

« J’ai le sentiment de vous connaître depuis toujours », dit Elena, d’une voix émue.

Tous avaient partagé un moment chaleureux et la conversation avait été enjouée.

Les Khokhlov offrirent à Shin’ichi un recueil des écrits du recteur et une photographie qui le représentait au milieu des montagnes. « Mon mari aimait les randonnées en montagne », dit en souriant Elena.

Shin’ichi resta en relation avec la famille Khokhlov au fil des ans.

De même que les plantes qui plongent profondément leurs racines dans le sol poussent et s’épanouissent, former partout des liens d’amitié aux racines profondes permet de développer toujours plus les champs fertiles et verdoyants de la paix.

Nouvel élan 60

Cet après-midi-là, Shin’ichi se rendit à l’université d’État de Moscou et rencontra le recteur, Anatoli Logounov, un célèbre théoricien de la physique qui était aussi membre de l’Académie des sciences soviétique.

En avril, le recteur s’était rendu au Japon. À ce moment-là, il avait proposé à Shin’ichi d’entamer avec lui un dialogue sur le rôle important des échanges éducatifs pour la promotion de l’amitié entre l’Union soviétique et le Japon et pour la paix mondiale. Shin’ichi accepta, en voyant là un moyen de transmettre les principes et la philosophie de la paix aux futures générations.

Dans la perspective de leur rencontre à Moscou, il avait préparé une liste de questions sur toutes sortes de sujets. Le recteur Logounov accepta avec plaisir la suggestion de Shin’ichi d’aborder dans leur dialogue des thèmes tels que les problèmes rencontrés par les sciences modernes, la religion et la littérature ; la guerre, la paix et les questions ethniques ; et les défis représentés par les échanges culturels.

Avant la réunion, le recteur reçut un titre de professeur honoraire de l’université Soka. Dans son discours de réception, il indiqua que les universités avaient pour vocation de sauvegarder la paix pour le bien de l’humanité. Il aborda alors le problème des armes nucléaires. « L’usage des armes nucléaires aujourd’hui aboutirait à l’annihilation complète de l’humanité, dit-il. Nous devons donc abandonner l’idée de garantir la paix par la force plutôt que par la sagesse humaine, parce que cela reviendrait à approuver la guerre nucléaire. »

Leur interprète en cette occasion était Leon Strijak, un conférencier aîné de l’Institut d’études asiatiques et africaines de l’université.

Shin’ichi et le recteur Logounov croyaient fortement l’un et l’autre qu’une guerre nucléaire devait être évitée à tout prix et que bâtir la paix grâce aux échanges culturels était la seule façon d’assurer la survie de l’humanité. Leur conversation se déroula dans une atmosphère chaleureuse et harmonieuse.

Ils se rencontrèrent et dialoguèrent à treize reprises, et leurs échanges donnèrent lieu à deux livres publiés en japonais – le premier en juin 1987 sous le titre Daisan no niji no hashi – Ningen to heiwa no tankyu (Le troisième pont de l’arc-en-ciel – la quête de l’humanité et de la paix) et le second, en mai 1994, sous le titre Kagaku to shukyo (Sciences et Religion).

La paix mondiale consiste d’abord à réunir les cœurs des êtres humains. Shin’ichi voulait montrer au monde que, quand nous concentrons notre attention sur les êtres humains et sur la paix, nous pouvons nous élever au-dessus des différences de systèmes politiques et d’idéologies pour nous comprendre mutuellement et éprouver de l’empathie les uns pour les autres, formant ainsi de profondes amitiés.

  • *1Traduit de l’anglais. Martin Luther King, Jr., Where Do We Go from Here: Chaos or Community? (Où allons-nous ? La dernière chance de la démocratie américaine), Boston, Beacon Press, 1967, p. 128.
  • *2Il avait aussi fait une brève escale à l’aéroport de Mexico, en 1974.
  • *3En plus des commémorations annuelles pour les défunts, il y a aussi souvent des commémorations mensuelles. M. Toda est décédé le 2 avril 1958. La commémoration annuelle a lieu chaque année le 2 avril, alors que les commémorations mensuelles ont lieu le 2 de chaque mois.