Volume 30 : Chapitre 1, Grande Montagne 11–20
Grande Montagne 11
Nichiren a enseigné que tous les êtres humains possèdent également la nature de bouddha et révéla le moyen qui permet à tous d’atteindre l’illumination – c’est-à-dire d’établir un état de bonheur absolu. Il a élucidé les principes essentiels de l’égalité humaine et du respect de la dignité de la vie. C’est ce qui fait du bouddhisme de Nichiren un enseignement universel pouvant servir de fondement pour bâtir la paix de toute l’humanité.
Shin’ichi sentit que, derrière l’attitude dominatrice des moines envers les croyants laïques, se cachait une nature terriblement perfide.
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que les autorités au pouvoir au Japon cherchaient de plus en plus à renforcer le contrôle de la pensée sur la population, la Nichiren Shoshu accepta le talisman shintoïste dédié à la déesse du soleil. En revanche, les premier et deuxième présidents de la Soka Gakkai, Tsunesaburo Makiguchi et Josei Toda, gardèrent fermement les enseignements et principes corrects du bouddhisme de Nichiren. Cela leur valut d’être incarcérés par le gouvernement militariste et, par la suite, Makiguchi mourut en prison pour ses croyances. Le clergé réagit à ces événements en prenant de nombreuses mesures humiliantes contre la Soka Gakkai, telle l’interdiction pour ses membres d’effectuer des pèlerinages au Temple principal.
Malgré cela, la Soka Gakkai continua après la guerre de faire sincèrement tout son possible pour soutenir et protéger la Nichiren Shoshu, convaincue que c’était là la meilleure attitude pour kosen rufu.
Mais les moines, qui se prétendaient disciples de Nichiren, harcelèrent et opprimèrent la Soka Gakkai, qui persévérait dans la transmission altruiste de la Loi, suivant ainsi fidèlement les instructions de Nichiren. Cette situation tout à fait incroyable existait déjà avant la guerre et ne fit que se perpétuer.
Cependant, à la lumière du bouddhisme, les choses sont parfaitement claires. Nichiren nous enseigne qui détruira le bouddhisme : « Ni les non-bouddhistes ni les calomniateurs de la Loi bouddhique ne peuvent détruire l’enseignement correct de l’Ainsi-Venu, mais les disciples du Bouddha le peuvent sans aucun doute. Comme le dit un sûtra, seuls les vers issus du corps d’un lion peuvent le dévorer. » (Écrits, 305)
Ce ne sont pas les non-bouddhistes et ceux qui s’opposent à la Loi bouddhique qui détruiront le bouddhisme, mais les pratiquants eux-mêmes. Il est dit dans le Sûtra du Lotus que « Des démons maléfiques prendront possession des autres » (SdL-XIII, 190), décrivant ainsi comment le roi-démon du sixième ciel1 s’emparera des moines, qui sèmeront alors la confusion et la désunion parmi les croyants. Selon ce scénario, ceux qui portent des robes de moines renieront l’esprit de Nichiren et feront ainsi obstacle à kosen rufu.
Du vivant même de Josei Toda, la Soka Gakkai eut à souffrir d’attaques irrationnelles des moines de la Nichiren Shoshu.
Shin’ichi se rappela cet avertissement sévère délivré par son maître : « Kosen rufu ne progressera jamais sans la Soka Gakkai. Ceux qui cherchent à détruire la Soka Gakkai, la communauté harmonieuse des pratiquants, font en fait obstacle à kosen rufu. »
Grande Montagne 12
Après avoir médité sur la grande voie de la pratique correcte suivie par la Soka Gakkai, Shin’ichi Yamamoto s’intéressa aux problèmes immédiats et urgents auxquels était confrontée l’organisation.
Il pensa : « Notre priorité aujourd’hui doit être de mettre un arrêt aux attaques répréhensibles des moines et de protéger les membres. C’est pourquoi nous avons accepté jusqu’ici les diverses exigences du clergé et les avons toujours approuvées. »
À chaque fois que Shin’ichi apprenait que des moines arrogants de différentes régions du Japon avaient eu un comportement abusif à l’égard des membres de la Soka Gakkai, son cœur se brisait. Il voyait clairement les visages des membres empreints d’anxiété et de souffrance et les entendait clamer leur peine et leur indignation. Tous les efforts accomplis par la Soka Gakkai pour mettre un terme à cette situation étaient maintenant réduits à néant en raison des propos irresponsables du vice-président, Genji Samejima.
« La Soka Gakkai est une organisation que M. Toda considérait comme plus précieuse que sa propre vie, se dit Shin’ichi. Je dois absolument protéger la Soka Gakkai et ses membres. Quelle est la meilleure façon de le faire ? »
Il ne craignait pas de supporter le poids des attaques du clergé si cela pouvait servir à protéger ses compagnons de pratique, qui lui étaient si chers. Depuis le jour de sa nomination en tant que troisième président de la Soka Gakkai, il avait fait le vœu de prendre toute la responsabilité en cas de problème. Ce vœu demeurait inchangé.
La Soka Gakkai connaissait une période de développement sans précédent. Elle était réellement devenue la « championne du monde religieux » au Japon, et constituait une force de paix solide et fiable. C’était un mouvement populaire, qui se répandait peu à peu sur toute la planète.
Grâce à l’étude bouddhique mise en pratique dans la vie quotidienne, les membres avaient solidement établi dans leur vie les principes du bouddhisme de Nichiren et en avaient fait leur philosophie motrice et la source d’inspiration de leur comportement. Beaucoup de personnes remarquables avaient émergé et jouaient un rôle actif dans toutes les sphères de la société, mues par leur profond engagement à réaliser kosen rufu. Par ailleurs, le mouvement de la Soka Gakkai pour la paix, la culture et l’éducation bénéficiait d’une large reconnaissance en tant que mouvement à multiples facettes, qui s’engageait dans la société en prenant appui sur le bouddhisme. Il était de mieux en mieux compris et recevait toujours plus d’éloges.
La Soka Gakkai entra donc dans l’année 1979 – année où les Sept Cloches parvenaient à leur terme – en ayant atteint un développement sans précédent.
Tout en luttant constamment pour atteindre cet objectif, Shin’ichi était fier de pouvoir rapporter le récit de tant de victoires à son maître, Josei Toda, qui résidait toujours dans son cœur. C’était son engagement à répondre fidèlement aux attentes de son maître, qui le guidait.
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Depuis quelque temps, Shin’ichi envisageait de transmettre la présidence de la Soka Gakkai à quelqu’un d’autre.
Quand une personne assume la responsabilité pendant une longue période, il peut être difficile pour les successeurs de se développer. Pour garantir la transmission éternelle de la Loi merveilleuse, il voulait créer sans attendre un courant de successeurs.
En 1970, après avoir exercé la fonction de président pendant une bonne décennie, il avait informé à plusieurs reprises les responsables exécutifs de son intention de démissionner à un moment donné. Mais tous s’étaient opposés à cette idée, en réaffirmant que la présidence était le mandat de toute une vie.
En 1974, Shin’ichi transmit cependant son poste de directeur représentant la Soka Gakkai en tant qu’association religieuse au directeur général de l’organisation. En cette occasion, puis une nouvelle fois, en 1977, il souleva encore la question de la transmission de la présidence mais, à chaque fois, les responsables exécutifs insistèrent pour qu’il reste en fonction.
Désormais, le 19e anniversaire de son accession à la présidence de la Soka Gakkai approchait et les Sept Cloches étaient elles aussi proches de leur terme. Il envisagea de nouveau de transmettre sa fonction de président à quelqu’un d’autre au moment propice. Il n’avait que 51 ans et, fort heureusement, était toujours en bonne santé. Il était donc encore en mesure de soutenir et d’encourager chacune et chacun après avoir démissionné.
Quand Shin’ichi se penchait sur la situation du monde, en sa qualité de bouddhiste, il lui apparaissait clairement que le travail qui restait à accomplir était considérable.
Il voulait entreprendre des actions plus substantielles et très diversifiées pour la paix mondiale. Il jugeait important de rencontrer beaucoup plus de dirigeants du monde entier et de dialoguer avec eux. Il voulait déployer encore plus d’énergie pour promouvoir la culture et l’éducation à partir des idéaux du bouddhisme de Nichiren. Par-dessus tout, il pensait que le moment était venu de développer avec le plus grand sérieux le mouvement du kosen rufu mondial.
Mais Shin’ichi pensa que, s’il agissait davantage à l’échelle internationale, le prochain président de la Soka Gakkai et les autres responsables exécutifs à qui il confierait le relais de kosen rufu au Japon seraient confrontés à des mers déchaînées. Même si la Soka Gakkai bénéficiait dans cette période d’un développement sans précédent, des nuages sombres la menaçaient et des vents puissants se mettaient à souffler. Ce ne serait pas un voyage facile. Il faudrait inévitablement relever des défis. Les responsables qui seraient amenés à prendre sa succession devraient être en mesure d’identifier les forces démoniaques avec les yeux clairs de la foi et, pleins de détermination, ils devraient lancer des initiatives courageuses pour aller de l’avant. Shin’ichi voulait que chaque personne fasse preuve d’un courage sans précédent.
Le philosophe de la Rome antique, Sénèque, a dit : « Tous les flots de l’adversité ne transforment point une âme courageuse2. »
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Shin’ichi Yamamoto participa à une réunion des responsables des centres de distribution du journal Seikyo dans l’après-midi du 3 avril.
Malgré les dures épreuves qui assaillaient la Soka Gakkai, Shin’ichi poursuivait ses efforts, imperturbable.
Avec le souhait que les membres dotés d’une noble mission deviennent des vainqueurs pleins de fierté, Shin’ichi s’adressa à ce groupe : « Votre travail commence avant l’aube et je suis sûr que vous avez tendance à manquer de sommeil. Mais, je vous en prie, faites tout votre possible pour protéger votre santé, de façon à accomplir chaque jour votre mission en toute sécurité.
« La clé pour éviter les accidents est de respecter les principes essentiels, aussi bien dans la foi que dans la vie quotidienne. Ne pas tenir compte de ces principes est un signe de négligence et résulte en fait de l’arrogance. Tout particulièrement dans le domaine de la foi, les personnes qui se détournent des principes essentiels sont consumées par le désir de gloire et de fortune, et essaient de parvenir à leurs objectifs en faisant un minimum d’efforts, mais en définitive elles finissent toujours par faire un faux pas. Cependant, n’oubliez pas que, même si elles peuvent tromper les autres, nul ne peut échapper à la très stricte loi bouddhique de cause et d’effet.
« J’espère que vous respecterez toujours les principes essentiels dans tous les domaines. Ne vous laissez pas ballotter par les circonstances et, avec sincérité et sérieux, en y mettant tout votre cœur, relevez tous les défis auxquels vous êtes confrontés afin de remporter en toutes circonstances une magnifique victoire. Plus vous répéterez ce processus, et plus votre vie se mettra à briller de tout son éclat. J’aimerais que vous en soyez convaincus.
« Il est difficile de gérer un centre de distribution local du journal Seikyo, c’est un travail ingrat, qui est souvent non reconnu et qui permet rarement de prendre des vacances. Par ailleurs, cela constitue une lourde responsabilité. Mais, en raison de vos efforts et de ceux des livreurs du journal, les gens peuvent le lire et kosen rufu progresse.
« Convaincu que les bouddhas et les divinités célestes sont bien conscients de vos efforts, je prie chaque jour pour votre bien-être et votre sécurité, avec le plus grand respect et la plus grande admiration. »
Partout où il y avait des membres sincères, Shin’ichi les encourageait toujours sans la moindre hésitation, aussi fatigué qu’il soit. Il avait décidé de consacrer sa vie à encourager les autres et à partager le bouddhisme avec eux, quelle que soit sa propre situation.
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Le soir du 4 avril, le responsable du département de la jeunesse, Isamu Nomura, reçut un appel téléphonique de l’avocat Tomomasa Yamawaki, qui assurait la liaison entre le clergé et la Soka Gakkai. Yamawaki déclara qu’il souhaitait de toute urgence l’informer de la tournure prise par les événements avec le clergé.
Nomura et le directeur général de la Soka Gakkai, Kiyoshi Jujo, rencontrèrent Yamawaki pour entendre ce qu’il avait à leur dire.
« En raison des déclarations du vice-président Samejima, le clergé s’apprête à lancer une attaque sans merci contre la Soka Gakkai, leur dit Yamawaki d’un air apparemment troublé. Pour apaiser la situation, il faudra bien évidemment prendre des mesures à l’encontre de M. Samejima, mais ça ne sera pas suffisant. Le président Yamamoto sera très probablement contraint de démissionner, non seulement de sa position de représentant principal de l’ensemble des organisations laïques de la Nichiren Shoshu, mais aussi de celle de président de la Soka Gakkai. Les jeunes moines qui critiquent la Soka Gakkai ne relâcheront pas leurs attaques tant qu’il n’aura pas démissionné.
« Pensez plutôt à ce qui se passera si la colère du clergé s’accentue encore. Il faut vous préparer au pire. L’incident qui s’est produit récemment a rendu furieux le grand patriarche Nittatsu lui-même. »
L’expression « il faut vous préparer au pire » transperça le cœur de Jujo. Les remarques inconsidérées de Samejima avaient ruiné tous les efforts sincères de la Soka Gakkai pour restaurer les relations avec le clergé et étaient devenues un prétexte facile pour ceux qui complotaient afin de prendre le contrôle de la Soka Gakkai.
Jujo contacta Shin’ichi pour lui résumer les propos de Yamawaki et demander la tenue d’une conférence exécutive d’urgence.
Les nuages assombrissaient le ciel, mais les cerisiers se dressaient majestueusement, les branches couvertes de fleurs.
Le matin du 5 avril, Shin’ichi assista à la conférence exécutive de la Soka Gakkai au centre culturel de Tachikawa, à Tokyo. Il s’agissait de déterminer comment faire face aux problèmes en cours avec le clergé. Jujo y assista, ainsi que plusieurs autres responsables importants. Tous semblaient avoir le cœur lourd.
La réunion s’ouvrit sur un compte rendu des propos tenus par Yamawaki, puis il fut question des toutes dernières actions de divers moines de la Nichiren Shoshu.
Shin’ichi pensa que les fonctions démoniaques avaient fini par dévoiler leurs intentions. Il s’agissait d’un complot pour le contraindre à démissionner de la présidence et créer une division entre les membres et lui, entre le maître et les disciples. C’était en fin de compte une tentative de détruire purement et simplement la Soka Gakkai, l’organisation qui faisait progresser kosen rufu en parfait accord avec l’intention du Bouddha.
Il est crucial de démasquer les manœuvres des fonctions démoniaques avec les yeux de la foi.
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Shin’ichi Yamamoto regarda intensément chacun des responsables présents. Ils semblaient tous profondément soucieux, mais aucun ne prit la parole. Il y eut un long silence.
Pressé par Shin’ichi de donner son opinion, un des responsables murmura finalement : « Vous ne pouvez pas aller contre le cours du temps… »
Une douleur aiguë traversa le cœur de Shin’ichi. « Quelle lâcheté ! » pensa-t-il.
Shin’ichi était prêt à s’incliner et à adresser des excuses aux moines si cela pouvait mettre un terme à tout ce tumulte. Il était bien conscient qu’il n’aurait peut-être pas d’autre choix que de démissionner et savait aussi que tout le monde avait fait le maximum pour tenter de remédier à la situation. Il trouvait cependant lamentable que des responsables considèrent maintenant que ces événements s’inscrivaient dans « le cours du temps ».
« Si nous nous laissons ballotter par les circonstances, pensa-t-il, alors qu’adviendra-t-il de l’esprit de la Soka Gakkai ? Ce qui compte, c’est la puissante détermination intérieure de protéger la Soka Gakkai sans ménager notre vie pour le bien de kosen rufu. »
Shin’ichi brisa le silence persistant en déclarant d’un ton sévère : « Très bien, je vais démissionner de ma fonction de représentant principal de l’ensemble des organisations laïques de la Nichiren Shoshu et de président de la Soka Gakkai. Je vais prendre l’entière responsabilité. C’est ce que vous suggérez, n’est-ce pas ? Et l’on peut supposer que tout sera ainsi résolu.
« Mais ce doit être la Soka Gakkai, et non le clergé, qui décide quand son président démissionnera. Démissionner de la présidence est une éventualité que j’envisage depuis longtemps, afin d’ouvrir la voie à l’avenir de la Soka Gakkai. »
Shin’ichi avait la conviction qu’il ne devait pas créer un précédent en démissionnant de la présidence de la Soka Gakkai sous la pression du clergé. Il sentait aussi que, s’il
agissait de cette façon, ce serait également une tache éternelle dans l’histoire du clergé.
C’était après tout la Soka Gakkai qui, grâce à son soutien sincère, avait sauvé le clergé d’un effondrement potentiel durant l’après-guerre. Plus important encore, sous la direction de Shin’ichi, la Soka Gakkai était la seule organisation agissant en accord avec l’intention du Bouddha – faire avancer kosen rufu en faisant preuve d’un dévouement altruiste, conformément à ce qu’avait enseigné Nichiren, et transmettre la Loi merveilleuse dans le monde entier.
Touché par les propos de Shin’ichi, un responsable, submergé par l’émotion, s’écria : « Sensei ! Je suis vraiment désolé… »
Le chemin de kosen rufu implique une lutte intense et incessante contre le roi-démon du sixième ciel. C’est précisément parce que, grâce à la foi dans la Loi merveilleuse, la Soka Gakkai a pu démasquer le roi-démon, lutter contre lui et démanteler les rouages de son fonctionnement, qu’elle a réussi à créer la grande marée de kosen rufu.
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Peu avant sa mort, Josei Toda avait donné pour instruction à ses disciples de protéger le troisième président durant toute leur vie. Une telle attitude, disait-il, garantirait la réalisation de kosen rufu. C’était la clé de l’unité qui permettrait d’ouvrir constamment la voie de la victoire.
Shin’ichi ne voulait pas spécialement être protégé, mais il était profondément choqué que tous aient semblé avoir oublié cet esprit que leur maître Josei Toda leur avait enseigné pour le bien de kosen rufu.
En pensant à l’avenir et en priant intérieurement, Shin’ichi leur dit : « Je suis un lion ! Je n’ai peur de rien. Vous aussi, vous devez être des lions ! Sinon, les membres souffriront. Suivez la grande voie de maître et disciple du mouvement Soka avec un courage indomptable et une puissante combativité. Si vous avez cet engagement ferme, rien ne pourra jamais ébranler la Soka Gakkai. Le président Toda veille sur vous ! »
Shin’ichi se leva alors et quitta la pièce.
Par une fenêtre, il vit les fleurs de cerisier danser dans le vent léger. En s’arrêtant pour les contempler, il se rappela les puissants combats engagés par Tsunesaburo Makiguchi et Josei Toda en tant que maître et disciple.
En juin 1943, redoutant les persécutions des autorités militaristes qui cherchaient à unir le pays autour du shintoïsme d’État pour soutenir l’effort de guerre, la Nichiren Shoshu exhorta la Soka Kyoiku Gakkai (l’organisation qui a précédé la Soka Gakkai) à se conformer, au moins en apparence, aux instructions du gouvernement, qui exigeait que le talisman shintoïste dédié à la déesse du Soleil soit présent dans tous les foyers.
Makiguchi refusa et se résolut à adresser des remontrances aux autorités, prêt à affronter les inévitables persécutions qui en résulteraient. À ce moment-là, son disciple, Josei Toda, prit aussi la ferme détermination de continuer de transmettre la Loi merveilleuse, même au risque de sa vie. Toda fut par la suite arrêté et emprisonné avec Makiguchi. Seul dans sa cellule, il pria avec ferveur pour supporter le poids de toutes les accusations, afin que Makiguchi soit relâché dès que possible.
Lorsque la Nichiren Shoshu se laissa emporter par le flot souillé des offenses à la Loi, l’unité spirituelle du maître et du disciple, partagée par Makiguchi et Toda, sauva les enseignements de Nichiren en préservant leur rectitude. Makiguchi mourut en prison, mais Toda vécut jusqu’à sa libération. Perpétuant le vœu fervent de son maître, il rebâtit la Soka Gakkai et ouvrit la voie de la transmission éternelle du bouddhisme de Nichiren.
Le maître, au sein de la Soka Gakkai, est le guide des bodhisattvas surgis de la Terre, qui apparaissent à l’époque présente avec le vœu de diffuser largement la Loi merveilleuse, et il est aussi le moteur de la progression de kosen rufu. Quand la détermination du disciple s’harmonise avec celle du maître, les roues de kosen rufu se mettent à tourner avec vigueur. C’est pour cela que l’unité du maître et du disciple est le fil conducteur de la Soka Gakkai.
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Shin’ichi se rappela l’incident qui avait eu lieu en avril 1952, durant la célébration du 700e anniversaire de la proclamation de l’enseignement de Nichiren au Temple principal3.
Les membres du département de la jeunesse de la Soka Gakkai eurent alors la surprise de rencontrer au Temple principal Jiko Kasahara, que le clergé était censé avoir expulsé de ses rangs.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Kasahara, alors moine de la Nichiren Shoshu, avait adopté par opportunisme la doctrine erronée consistant à subordonner le bouddhisme au shintoïsme. Cédant aux autorités militaristes pour obtenir les faveurs des pouvoirs en place, il avait ainsi trahi les enseignements de Nichiren. Les actions qu’il mena à l’époque furent à l’origine de l’oppression de la Soka Gakkai par le gouvernement, et conduisirent finalement à la mort de Makiguchi en prison.
Les jeunes de la Soka Gakkai, qui avaient donc rencontré Kasahara au Temple principal à l’occasion du 700e anniversaire de la proclamation de l’enseignement de Nichiren, le menèrent jusqu’à la tombe de Makiguchi et l’exhortèrent à reconnaître ses erreurs de doctrine. Cet incident provoqua la fureur du clergé.
En fait, il apparut que la Nichiren Shoshu avait secrètement rétabli Kasahara dans ses fonctions de moine, fermant ainsi les yeux sur ses conceptions erronées, qui déformaient le cœur même des enseignements de Nichiren.
Le clergé réagit à cet incident en organisant une réunion du Conseil de la Nichiren Shoshu, dont les membres adoptèrent une résolution décrivant ce qui s’était produit comme « un incident honteux sans précédent depuis la fondation du Temple principal ». Affirmant que le président de la Soka Gakkai avait provoqué l’agression de Kasahara, troublé le grand patriarche et perturbé la foi des croyants laïcs en visite au Temple principal, ils demandèrent à Toda de soumettre des excuses par écrit, le destituèrent de sa fonction de représentant laïc de la Nichiren Shoshu, et lui interdirent de se rendre au Temple principal.
Ainsi, le Conseil de la Nichiren Shoshu chercha à protéger le moine sans scrupules qui avait prôné la doctrine selon laquelle le bouddhisme est subordonné au shintoïsme et piétiné les enseignements de Nichiren, tout en cherchant par ailleurs à adopter des mesures disciplinaires sévères contre Toda, qui s’était efforcé de corriger ce qui était erroné.
Shin’ichi et d’autres disciples se dressèrent et exprimèrent leur ferme détermination de défendre Toda, en exigeant l’abrogation de la décision du Conseil. Ils en rencontrèrent les membres un à un et expliquèrent en toute franchise l’incident qui s’était produit avec Kasahara, tout en soulignant l’injustice de la résolution adoptée par le Conseil et en exigeant son retrait.
Lors de ces rencontres, Shin’ichi fit toujours preuve de courtoisie mais, au fond de lui, brûlait un fort sentiment d’indignation.
Il pensa : « Le Conseil cherche à isoler le président Toda par une sanction, en lui retirant son rôle de représentant laïc de la Nichiren Shoshu et en lui interdisant de se rendre au Temple principal. Les moines essaient ainsi de creuser un fossé entre lui, le président, et les membres.
Sans le président Toda, qui fera avancer kosen rufu ? Nous devons le protéger, quoi qu’il arrive. Il a toujours fermement soutenu ce qui est juste et ne s’est rendu coupable d’aucun méfait. Nous ne pouvons pas laisser le clergé le sanctionner ! »
Cela n’exprimait pas seulement la ferme détermination de Shin’ichi, mais aussi celle des principaux responsables de la Soka Gakkai et du département de la jeunesse.
Les fonctions démoniaques qui cherchent à détruire kosen rufu conspirent toujours pour briser les liens entre maître et disciple.
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En entendant les explications sincères et bien argumentées de Shin’ichi et des autres disciples de Toda, un grand nombre de membres du Conseil de la Nichiren Shoshu changèrent d’opinion et s’accordèrent pour révoquer la résolution appelant à une sanction disciplinaire contre le président de la Soka Gakkai. Cette résolution n’avait d’ailleurs pas été homologuée par Nissho Mizutani, le grand patriarche de l’époque.
Surmonter l’incident dû à Kasahara permit de renforcer l’esprit d’unité entre maître et disciple, au sein de la Soka Gakkai. Stimulée par les vents de l’adversité, l’organisation alla majestueusement de l’avant vers la réalisation de l’objectif de 750 000 foyers pratiquants annoncé par Josei Toda.
Revenant au présent, Shin’ichi s’inquiétait désormais de ne plus percevoir, dans l’attitude des principaux responsables, l’esprit résolu du maître et du disciple, qui consiste à consacrer sa vie à kosen rufu, avec la combativité et la passion propres à la Soka Gakkai.
Le lendemain, 6 avril, Shin’ichi se rendit au Temple principal pour participer à la cérémonie annuelle d’aération des parchemins. Il y rencontra le grand patriarche Nittatsu et l’informa de son intention de démissionner de sa fonction de représentant principal de l’ensemble des organisations laïques de la Nichiren Shoshu ainsi que de la présidence de la Soka Gakkai.
Pour Shin’ichi, la priorité était de protéger les membres des attaques des moines, motivées par leur intérêt personnel. Même s’il démissionnait de sa fonction de président, il était tout à fait convaincu que la jeune génération de membres porterait le flambeau de kosen rufu au sein de la Soka Gakkai et prendrait fièrement sa place sur la noble scène du XXIe siècle.
Une personne qui a des successeurs ne connaît ni soucis ni regrets. Les responsables qui ont conscience d’avoir de jeunes successeurs sont heureux et pleins de confiance parce qu’ils savent qu’un avenir brillant et riche d’espoir s’étend devant eux.
L’après-midi du 7 avril, Shin’ichi accueillit une délégation de vingt membres de la Fédération nationale de la jeunesse de Chine devant le magnifique cerisier dédié à Zhou Enlai, alors en pleine floraison. Cet arbre avait été planté près de l’étang de la Littérature, sur le campus de l’université Soka [à Hachioji, Tokyo].
À 10 heures, ce matin-là, le groupe de jeunes Chinois s’était rendu au siège du journal Seikyo, dans le quartier de Shinanomachi, à Tokyo. Après avoir été chaleureusement accueillie par les représentants de la jeunesse de la Soka Gakkai, la délégation s’était engagée dans des discussions pour promouvoir des échanges amicaux entre la Chine et le Japon, qui se perpétueraient à travers les futures générations. À la suite de cette rencontre, ils se rendirent à l’université Soka où Shin’ichi les attendait.
Shin’ichi était fermement convaincu que le moment était venu de réunir les êtres humains du monde entier grâce à une philosophie de paix. Quoi qu’il advienne, aussi violentes que soient les tempêtes de l’adversité, il était déterminé à poursuivre sa tâche consistant à dresser des ponts pour la paix dans le monde entier.
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Shin’ichi Yamamoto prononça des salutations en chinois et remercia le groupe de sa venue.
Il adressa une chaleureuse accolade au responsable de cette délégation de la jeunesse, Gao Zhanxiang, qui portait une veste à col Mao, et serra la main de chaque membre de la délégation.
« Nous aspirions à vous rencontrer, président Yamamoto, s’exclama avec enthousiasme Gao, et voilà désormais que notre rêve s’est réalisé. Nous admirons les efforts que vous avez accomplis pour bâtir les ponts de l’amitié entre la Chine et le Japon. »
Shin’ichi expliqua alors à Gao et à ses compagnons les origines du cerisier Zhou Enlai. « Ce cerisier a été planté le 2 novembre 1975. Il était imprégné de nos prières pour la santé du Premier ministre Zhou Enlai et de notre aspiration à une paix et à une amitié durables entre nos deux pays. Sur ma suggestion, cet arbre fut planté par des étudiants de la république populaire de Chine venus étudier à l’université Soka.
« Un an auparavant, en décembre 1974, j’avais rencontré le Premier ministre Zhou Enlai à l’hôpital de Pékin où il était soigné. Malgré sa maladie, il évoqua son désir ardent de relations amicales entre la Chine et le Japon et son souhait de voir se réaliser la paix mondiale. Durant notre entretien, il se rappela avec nostalgie avoir quitté le Japon à la saison des cerisiers en fleur.
« Je l’ai exhorté à revenir au Japon pour admirer de nouveau les cerisiers en fleur. Il me répondit que cela lui plairait, mais que ce serait probablement impossible. L’expression de son visage était à ce moment-là empreinte de tristesse et de regret. C’est pour cela que j’ai proposé de planter un cerisier, un arbre qui lui était cher, et j’ai demandé aux étudiants chinois qui perpétuaient son idéal, de réaliser cette plantation. »
Les liens d’amitié se tissent grâce à la sincérité.
Les jeunes de la délégation chinoise écoutaient attentivement et acquiesçaient pendant que Shin’ichi parlait.
« Zhou Enlai est mort en janvier 1976, poursuivit-il, environ deux mois après la plantation de son cerisier. Profondément peiné par cette nouvelle, j’ai fait ce vœu : me consacrer de tout mon être à l’amitié entre la Chine et le Japon, à laquelle il aspirait tant, et faire tout mon possible pour qu’elle dure éternellement.
« Fort de cette détermination, j’ai décidé de planter deux autres cerisiers avec de jeunes responsables chinois en l’honneur du Premier ministre, Zhou Enlai, et de son épouse, Deng Yingchao. En fait, c’est ce que nous avons prévu de faire aujourd’hui, et j’aimerais vous demander à présent de m’aider à planter ces arbres par reconnaissance pour ces deux grands dirigeants, et en partageant le vœu d’une amitié durable. »
- *1Roi-démon du sixième ciel : aussi appelé roi-démon ou démon du ciel. Roi des démons qui réside dans le plus élevé des six cieux du monde du désir. Il est également connu sous le nom de « roi-démon du ciel où l’on jouit librement du fruit des efforts des autres », le roi qui exploite ouvertement le fruit des efforts d’autrui pour son propre plaisir. Avec d’innombrables laquais à son service, il s’applique à entraver la pratique bouddhique et prend plaisir à miner la force vitale des autres êtres, ce qui dépeint la manifestation de l’obscurité fondamentale inhérente à la vie. Le roi-démon est la personnification de la tendance négative consistant à forcer les autres à agir en fonction de ses propres intérêts, quoi qu’il en coûte.
- *2Sénèque, De la providence, chapitre II.
- *3On trouve un récit plus détaillé de cet incident dans le chapitre « Justice », qui figure dans le vingt-septième volume de La Nouvelle Révolution humaine.